Histoire Sciences des dates et du passé
L'histoire est une recherche des causes.
L'histoire a en vue d'expliciter les causes, et par là de rendre intelligibles les faits qu'elle étudie : l'historien de la Première Guerre mondiale aura a cœur, par exemple, de mettre au jour les diverses conditions et causes de ce conflit, et l'enchaînement causal des événements au sein du conflit lui-même, au lieu de se contenter d'une simple énumération de dates et de faits successifs.
L'histoire est la connaissance du passé humain. L'utilité pratique d'une telle définition est de résumer dans une brève formule l'apport des discussions et gloses qu'elle aura provoquées. Commentons-la : nous dirons connaissance et non pas, comme tels autres, « narration du passé humain », ou encore « oeuvre littéraire visant à le retracer » ; sans doute, le travail historique doit normalement aboutir à une oeuvre écrite (...), mais il s'agit là d'une exigence de caractère pratique (la mission sociale de l'historien...) : de fait, l'histoire existe déjà, parfaitement élaborée dans la pensée de l'historien avant même qu'il l'ait écrite ; quelles que puissent être les interférences des deux types d'activité, elles sont logiquement distinctes.
Nous dirons connaissance et non pas, comme d'autres, « recherche » ou « étude » (bien que ce sens d'« enquête » soit le sens premier du mot grec istoria), car c'est confondre la fin et les moyens ; ce qui importe c'est le résultat atteint par la recherche : nous ne la poursuivrions pas si elle ne devait pas aboutir ; l'histoire se définit par la vérité qu'elle se montre capable d'élaborer. Car, en disant connaissance, nous entendons connaissance valide, vraie : l'histoire s'oppose par là à ce qui serait, à ce qui est représentation fausse ou falsifiée, irréelle du passé, à l'utopie à l'histoire imaginaire (...), au roman historique, au mythe, aux traditions populaires ou aux légendes pédagogiques — ce passé en images d'Epinal que l'orgueil des grands Etats modernes inculque, dès l'école primaire, à l'âme innocente de ses futurs citoyens.
Sans doute cette vérité de la connaissance historique est-elle un idéal, dont, plus progressera notre analyse, plus il apparaîtra qu'il n'est pas facile à atteindre : l'histoire du moins doit être le résultat de l'effort le plus rigoureux, le plus systématique pour s'en rapprocher. C'est pourquoi on pourrait peut-être préciser utilement « la connaissance scientifiquement élaborée du passé », si la notion de science n'était elle-même ambigue : le platonicien s'étonnera que nous annexions à la « science » cette connaissance si peu rationnelle, qui relève tout entière du domaine de la doxa ; l'aristotélicien pour qui il n'y a de « science » que du général sera désorienté lorsqu'il verra l'histoire décrite (et non sans quelque outrance, on le verra sous les traits d'une « science du concret » (Dardel), voire du « singulier » (Rickert).
Précisons donc (il faut parler grec pour s'entendre) que si l'on parle de science à propos de l'histoire c'est non au sens d'Epistémè mais bien de Technè, c'est-à-dire, par opposition à la connaissance vulgaire de l'expérience quotidienne, une connaissance élaborée en fonction d'une méthode systématique et rigoureuse, celle qui s'est révélée représenter le facteur optimum de vérité.
L'histoire est une science; elle n'imagine pas, elle voit seulement... elle consiste comme toute science à constater les faits, à les analyser, à les rapprocher, à en marquer le lien...
L'historien cherche et atteint les faits par l'observation minutieuse des textes comme le chimiste trouve les siens dans des expériences minutieusement contrôlées.
"Le bon historien n'est d'aucun temps ni d'aucun pays." (dixit Fénelon)